Ils sont treize acrobates et danseurs originaires de Conakry, en Guinée, rejoints par quelques artistes d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Au départ, enfants de la rue formés aux arts de la scène en dialogue avec les meilleurs professionnels africains et français, dont Pierrot Bidon fondateur de la compagnie Archaos. Ils se sont rassemblés en 1998 au sein du Cirque Inextrémiste, co-fondé par Yann Ecauvre, aujourd’hui metteur en scène du spectacle, dans un moment où la Guinée cherchait à faire connaître son patrimoine traditionnel et ancestral et à le renouveler. Ils sillonnent aujourd’hui le monde avec Circus Baobab, avec pour mots clé énergie et solidarité.
Ils ont créé un scénario autour de l’eau qui forme la trame du spectacle, théâtralisant leurs interventions sur fond de bouteilles plastique vides compressées qui, à l’arrière-scène, jonchent le sol. Eau précieuse, si précieuse en Afrique, et qui crée des tensions entre les personnages convoitant l’eau du voisin, parfois la partageant comme un passage de témoin, toujours comme un défi dans ce vingt-et-unième siècle aride où l’environnement devient la carte maîtresse. Yé en langue soso signifie eau dans la région de Guinée maritime. Eau secours ! crie-t-il dans leur langue des corps, travaillée à outrance et défiant toute gravité. Leur langage est celui du cirque, risqué, virtuose et l’eau est aussi celle des plages où ils se sont entrainés, sur le sable protecteur pour amortir la réception de leurs sauts et montées vertigineuses.
Ils sont danseurs, gymnastes et acrobates et développent avec force et adresse l’art ancestral du cirque basé ici sur des numéros de mains à mains, de portés, de voltige au sol et de construction de pyramides humaines. Deux femmes, Aïcha Keïta et M’Mahawa Sylla défendent leur place avec âpreté, aussi éblouissantes que chaque circassien de la troupe. Un contorsionniste, Amara Camara, impressionnant dans la désarticulation, démonte son corps, pièce par pièce. Il semble ne plus avoir de limites même quand le corps grimace. Un breakdancer, Fodé Kaba Sylla fait des prouesses et joue de son vocabulaire en danses urbaines. La troupe n’utilise aucun instrument, tout au mieux un tapis de réception pour récupérer certaines envolées, à un moment précis du spectacle. Tout est basé sur l’inventivité et la virtuosité.
À travers le scénario qui en régule l’intensité et les escarpements se succèdent toutes figures nées de leur souplesse extravagante acquise par leur travail : exercices d’élévation et d’équilibre, lancer-porter sur un rythme rapide où le voltigeur exécute de nombreux sauts, propulsé par son porteur, tours et tourbillons enchaînés, incessants. Il y a de la parodie, de la performance, des pirouettes, rondades et flic-flac, sauts et saltos acrobatiques périlleux, avant-casse-cou, arrière-salto-mortale, vrilles, roulés aux rythmes endiablés. Ils portent sur les épaules, les mains, les jambes, les pieds, la tête, exécutent des colonnes, les hommes du dessous sont massifs, les envolé(ées) voltigeurs-voltigeuses sont oiseaux. Ils sont voleurs de ciel dans leurs élévations pyramidales. Nous sommes aux limites de l’équilibre avec de l’humour, de la solidarité et de la fraternité, aucun temps mort. À la fin du spectacle ils partagent leurs bouteilles d’eau avec le public avant de se retirer, en beauté. Ils sont courageux et magnifiques.
La démarche de cirque social impulsée dès la création de la troupe et aujourd’hui par Kerfalla Bakala Camara, directeur artistique de Circus Baobab et par l’atypique metteur en cirque Yann Ecauvre, fait penser à celle qu’avait eue Teresa Ricou à Lisbonne il y a une quarantaine d’années quand elle avait fondé le cirque Chapitô, dont le travail se poursuit. Ces démarches d’utopies soignent le monde si mal en point, leur outil est d’inclusion sociale. Circus Baobab fut grand finaliste de La France a un incroyable talent, en 2022. La troupe cherche actuellement des fonds pour créer une école du cirque à Conakry et donner leur chance à ceux qui ne sont pas toujours allés à l’école, d’accomplir leur rêve et de bâtir un avenir. Les acrobates-danseurs ont avant tout le sens du collectif et se considèrent comme une famille, la conjugaison de leurs talents est une belle leçon de vie.
Yé ! (L’eau) de Circus Baobba, est programmé du 14 avril au 10 juin 2023 à la Scala à Paris.